ÉLECTIONS PROVINCIALES 2018 : Troisième billet d’analyse des plateformes électorales des partis en matière d’éducation
Dernière semaine de cette campagne électorale, durant laquelle l’éducation s’est définitivement hissée parmi les thèmes les plus discutés.
Après avoir abordé, dans notre billet #2, les engagements concernant les services aux élèves, impossible de ne pas nous intéresser à un enjeu corollaire : les conditions d’enseignement et la valorisation de la profession enseignante. L’engagement des enseignantes et enseignants dans leur profession a justement fait les manchettes, cette semaine, et tout particulièrement les sommes qu’ils et elles doivent dépenser personnellement afin de fournir leurs classes en matériel scolaire ou de les aménager en espaces flexibles pour améliorer leur pédagogie. (À ce sujet, la nouvelle directive ministérielle sur la “gratuité scolaire”, annoncée en juin dernier, a surtout ajouté à toute cette confusion…)
La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a quant à elle dévoilé un sondage Léger, effectué au début de septembre, dans lequel il ressort clairement que 88% de la population québécoise fait « confiance aux enseignantes et enseignants de l’école publique, ainsi qu’aux solutions qu’ils mettent de l’avant », et estime qu’on devrait mieux les soutenir et mieux les respecter.
ENJEU #3 : LES CONDITIONS D’ENSEIGNEMENT ET LA VALORISATION DE LA PROFESSION ENSEIGNANTE
La pénurie est maintenant clairement avérée — tant chez le personnel enseignant et les services professionnels que les directions d’école —, et chacun des partis dit maintenant accorder une importance élevée au rehaussement de la valorisation de la profession enseignante. Pour le Parti libéral (PLQ), la Coalition Avenir Québec (CAQ) et Québec solidaire (QS), cela passe d’emblée par des augmentations salariales, alors que le Parti Québécois (PQ) met davantage l’accent sur l’amélioration des conditions de travail.
Proposition du Parti Québécois (PQ)
C’est en reconnaissant la lourdeur de la tâche des enseignantes et des enseignants et en offrant d’améliorer leurs conditions de travail et de cesser la précarisation, que le Parti Québécois entend d’abord les revaloriser.
Cela se concrétise d’abord par l’instauration d’un seuil minimal garanti de services professionnels directs aux élèves qui fréquentent l’école publique et les centres de formation pour adultes.
Cette mesure se comprend dans la même logique que la loi-bouclier que le PQ propose contre les compressions budgétaires en éducation : les services professionnels seraient assurés par un ratio, comme celui qui concerne le nombre d’élèves par titulaire : « Le ratio serait d’environ un professionnel par 1000 élèves et serait régionalisé afin que les écoles de partout aient accès aux mêmes services. »
Le PQ veut aussi favoriser le recrutement des meilleurs étudiants et étudiantes dans les facultés d’éducation, et évaluer la pertinence d’ajouter une maîtrise qualifiante de deux ans afin de permettre deux voies d’accès à la profession.
Cela apparaît comme une voie intéressante pour augmenter le recrutement et la qualité du corps enseignant. Ce serait un retour bienvenu de la voie de la maîtrise pour la « formation des maîtres », alors que le baccalauréat en enseignement était devenu au fil du temps la seule façon d’accéder à un poste au primaire ou au secondaire.
Au chapitre de la formation, le Parti Québécois entend d’ailleurs travailler avec les profs à définir une politique de développement professionnel du personnel enseignant, incluant une obligation pour chacun et chacune de se doter d’un plan de développement professionnel.
Plutôt que des obligations qui pourraient changer au fil des gouvernements, c’est une politique qui est privilégiée pour encadrer la qualité de la formation continue, tout en élaborant les modalités avec eux et elles.
MISE À JOUR : Le Parti Québécois a annoncé, après la première publication de notre billet, qu’il investirait «2,3 milliards de dollars sur quatre ans au Plan québécois des infrastructures 2018-2028 (PQI) pour la rénovation et la construction d’écoles». Il s’agit du plus gros montant annoncé par un parti en lice pour cet énorme chantier. Par ailleurs, il s’engage aussi «à rendre les commissions scolaires plus autonomes pour qu’elles n’aient plus à «demander la permission» à Québec avant de faire des travaux».
Proposition de Québec solidaire (QS)
Comme le PQ, mais sans établir de seuil minimal de services, Québec solidaire mise aussi sur l’amélioration des conditions de travail des enseignantes et des enseignants, ainsi que sur la reconnaissance de leur travail et de leur autonomie professionnelle.
Dans cette optique, QS veut améliorer le système d’aide financière aux études (AFE) et la rémunération des stages, augmenter le salaire du personnel enseignant, et réduire la précarité. Il est aussi question d’alléger la tâche enseignante en reconnaissant toutes les heures travaillées.
Il entend aussi améliorer le soutien au personnel enseignant (accompagnement, perfectionnement et soutien psychosocial) et établir une stratégie nationale pour limiter le décrochage des jeunes enseignantes et enseignants. Cela se ferait par l’ajout « 340 millions de dollars au budget de l’éducation afin d’embaucher 2300 professionnels supplémentaires pour soutenir la réussite des élèves (…) de même que 2100 nouveaux enseignants, ce qui permettrait de diminuer les ratios dans les classes ». Ce faisant, QS entend en faire revenir plusieurs qui ont déjà quitté la profession.
Comme tous les autres partis, Québec solidaire s’engage donc à procurer du soutien aux profs, par cette stratégie nationale de rétention du personnel enseignant, pour ramener et maintenir des gens dans la profession : dommage qu’elle ne soit pas plus élaborée… Toutes ces mesures sont bienvenues, mais le cadre financier sur lequel cela repose reste fragile (« à même les 13 milliards de dollars de nouvel argent que le parti croit pouvoir aller chercher en revoyant le taux d’imposition des grandes entreprises »), bien que cela apparaît certainement comme une volonté légitime.
Le respect de l‘autonomie professionnelle du personnel enseignant en matière d’évaluation, de méthodes pédagogiques et de formation continue est aussi mis de l’avant par Québec solidaire. Et ce, en impliquant les enseignant-e-s dans des comités nationaux au sein desquels ils et elles siégeraient, en majorité, et participeraient à tout processus de modification des régimes pédagogiques et à la définition du contenu des programmes. Quant à la formation des maîtres, des consultations du personnel enseignant feraient partie du processus de sa révision.
La reconnaissance de l’autonomie professionnelle est une revendication de longue date du milieu enseignant, et cette approche a donc toutes les chances d’être bienvenue, de même que les consultations.
Proposition du Parti libéral du Québec (PLQ)
Outre la promesse d’améliorer le soutien aux enseignantes et enseignants, en augmentant le nombre de personnel professionnel et en embauchant une deuxième personne dans la classe — ce qui apparaît difficile au vu et au su des pénuries actuelles… —, le Parti libéral entend aussi mieux reconnaître leur travail en augmentant leur salaire.
En effet, le PLQ compte améliorer la rétention des enseignant-e-s en début de carrière notamment en éliminant les six premiers échelons salariaux. Par ailleurs, la création d’un Institut national d’excellence en éducation (INEE) est aussi mise de l’avant, de même que celle d’un ordre professionnel des orthopédagogues, si l’Office des professions du Québec (OPQ) le juge utile.
La promesse d’éliminer des échelons salariaux rejoint celle de la CAQ (comme on le verra un peu plus loin), afin que, dès les premières années, les salaires tournent autour de 50 000 $. Cette mesure serait établie lors du renouvellement de la convention collective et s’appliquerait donc en 2021-2022. La création d’un Institut national, pour « mieux développer, partager et diffuser les meilleures pratiques pédagogiques et les résultats issus de la recherche » est réaffirmée, de même que celle d’un ordre professionnel des orthopédagogues, dont plusieurs ont d’ailleurs aussi des postes d’enseignants, dans des classes spécialisées ou régulières.
En ce qui a trait à la formation des maîtres, le PLQ entend resserrer les critères d’admission au programme de Baccalauréat en enseignement, en collaboration avec les universités, et créer un examen national de maîtrise du français pour remplacer l’actuel examen du Test de certification en français écrit pour l’enseignement (TECFÉE). Il veut aussi permettre aux personnes ayant des qualifications disciplinaires de suivre un certificat de 2e cycle qui leur permettrait d’obtenir l’autorisation d’enseigner.
Comme pour le Parti Québécois, les étudiantes et étudiants de maîtrise formeraient un autre bassin de recrutement que le baccalauréat en enseignement. La qualité des candidatures serait aussi resserrée en amont, via les critères d’admission et l’évaluation de la maîtrise du français écrit.
Enfin, pour ce qui est de la formation continue du personnel enseignant, le Parti libéral entend publier un nouveau référentiel des compétences, et mettre sur pied un chantier de valorisation de la profession enseignante et de l’autonomie professionnelle.
Bonnes idées en principe, mais qui restent floues, et qui auraient certainement pu être être développées bien avant, après quatre ou quinze ans au pouvoir…
Proposition de la Coalition Avenir Québec (CAQ)
La CAQ veut aussi reconnaître le corps enseignant par un traitement salarial amélioré — qui équivaut, à peu de choses près, à la proposition des Libéraux —, et en leur reconnaissant un statut professionnel rehaussé.
La CAQ compte elle aussi augmenter le salaire d’entrée, autour de 50 000 $, en éliminant les quatre premiers échelons, et revoir à la hausse les conditions salariales et les conditions d’accès à la permanence, afin de rendre la profession enseignante plus attrayante et compétitive. Elle compte aussi reconnaître par voie législative le statut d’expert des enseignant-e-s, et créer des postes d’enseignant(e)s émérites. Par ailleurs, elle veut entamer un dialogue avec l’ensemble du corps enseignant avec l’objectif d’instaurer un ordre professionnel des enseignants.
La Coalition Avenir Québec mise beaucoup sur les dimensions salariales et professionnelles, et sur des idées pour reconnaître l’expertise et l’autonomie enseignantes. Ayant renoncé à leur imposer un ordre professionnel, on peut facilement imaginer que ces mesures puissent paver la voie à l’instauration d’un dialogue qui cheminerait éventuellement vers l’idée d’une telle instance. Or, le principe d’un ordre professionnel est de protéger le public… alors que celui-ci, du moins selon le sondage cité plus haut, fait grandement confiance à nos profs.
Réintégrer le personnel conseiller pédagogique dans le corps professoral tout en maintenant leur fonction.
Un peu comme les Libéraux qui mettent un accent particulier sur les orthopédagogues, on se demande un peu pourquoi la CAQ mise tant sur les conseillers pédagogiques. Cette mesure prend tout son sens si parallèlement les enseignants accèdent à une meilleure formation pour faire face aux nouveaux défis (élèves à besoins particuliers, immigration, persévérance scolaire, etc), de sorte que les conseillers pédagogiques leur procurent un réel appui.
Au plan de la formation des maîtres, la CAQ entend rehausser les critères d’admission des nouveaux étudiants en enseignement, limiter à trois le nombre de reprises du TECFÉE, et augmenter le nombre de professeurs dans les facultés des sciences de l’éducation.
Comme pour le Parti Québécois et le Parti libéral, la CAQ mise aussi sur des exigences plus élevées à l’entrée. Quant à la dernière proposition, la pénurie des professeur-e-s dans les écoles apparaît plus urgente que celle dans les universités…
Par ailleurs, en mettant de l’avant sa volonté d’instaurer des maternelles 4 ans dans toutes les écoles, la CAQ n’explique pas comment on trouverait les gens qualifiés nécessaires. Soulignons qu’un autre sondage Léger, effectué pour le compte de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ), dans les jours suivant le premier débat télévisé des chefs, nous apprend que « 65% des répondants estiment que les CPE et les services de garde en milieu familial constitue un environnement d’apprentissage plus propice que l’école pour les enfants de 4 ans ».
Enfin, pour ce qui est de la formation, la CAQ veut assigner un mentor à chaque enseignant-e de moins de cinq ans d’expérience dans le cadre d’un programme d’insertion professionnelle, et affecter trois des vingt journées pédagogiques à la formation continue obligatoire.
La première de ces deux mesures vise à améliorer la rétention des professeurs, mais elle reste floue pour le moment. Surtout, cela reste un défi alors que la pénurie affecte tous les enseignant-e-s. Comment serait reconnu et rétribué ce travail de mentorat? Qui devrait le faire, alors que plusieurs postes qui existaient en ce sens ont été coupés? Quant à la deuxième de ces mesures, au contraire du Parti Québécois et de Québec solidaire, il ne semble pas question de dialoguer avec les enseignant-e-s sur ce sujet. Or souvent, ceux et celles-ci soulignent la difficulté de suivre des formations prévues dans un calendrier qui impliquerait qu’ils et elles se fassent remplacer… dans un grave contexte de pénurie qui, plus qu’un manque de volonté, est déterminant dans leur capacité de les suivre.