Deuxième billet d’analyse des plateformes électorales des partis en matière d’éducation
Nous poursuivons notre série de billets d’analyse des plateformes électorales sur des enjeux que nous tenons à suivre de près, au travers du tourbillon électoral.
(Mais avant d’aborder ce deuxième thème, vous pouvez consulter notre premier billet — si ce n’est pas encore fait…— qui porte sur la surpopulation dans les écoles : une mise à jour y est disponible, au sujet d’une récente annonce faite par Québec solidaire.)
L’analyse du billet d’aujourd’hui porte sur un autre enjeu crucial pour les conditions d’apprentissage des élèves, autant que pour les conditions d’enseignement du personnel enseignant, dans nos écoles : l’accès aux services professionnels.
ENJEU #2 : LES SERVICES PROFESSIONNELS DANS LES ÉCOLES PUBLIQUES
Considérées individuellement, il peut sembler y avoir un certain consensus autour de mesures proposées par les différentes formations politiques. Mais l’approche avec laquelle chaque parti les abordent permet de les distinguer très clairement.
Proposition de Québec solidaire (QS)
Voici certaines des propositions de Québec solidaire pour garantir l’accès des élèves québécois à des services professionnels :
Québec solidaire propose d’augmenter « les services aux élèves par l’embauche de personnel supplémentaire et fixer un seuil minimum de personnel et un ratio professionnel/élèves dans les réseaux scolaire et collégial », et il propose également de réduire le nombre d’élèves par classe, notamment au secondaire.
Nous le soulignerons aussi plus bas, l’idée d’un seuil minimum de services nous apparaît essentielle pour garantir que chaque élève puisse recevoir le soutien nécessaire dans son établissement scolaire, et pour éviter de forcer ses parents à trouver ses services à l’externe, ou au privé, parce que l’accès dans l’école de quartier est trop limité.
QS propose aussi d’offrir et de bonifier ses services au secteur professionnel et au collégial, tout en soutenant aussi le retour aux études et la formation continue par une aide financière et professionnelle adaptées.
Cet élargissement du droit aux services professionnels même au niveau postsecondaire est une distinction notable de la formation mené par le duo Massé-Nadeau-Dubois. Cela correspond à une vision intégrée de l’éducation, un peu à la manière de leur proposition de gratuité scolaire à tous les niveaux, de la petite enfance jusqu’à l’université.
QS propose aussi une approche qui ouvre davantage l’école sur son quartier, en aidant la réalisation de projets pour la persévérance scolaire et contre l’intimidation et la violence, à travers lesquels les familles, les écoles et le milieu communautaire travailleraient en collaboration.
* * * * * *
En proposant son plan en éducation, Québec solidaire ne manque pas de condamner vertement les compressions budgétaires qui ont été appliquées par le gouvernement libéral, tout particulièrement celles qui ont nuit à l’accès à ces services professionnels.
Proposition de la Coalition Avenir Québec (CAQ)
D’emblée, le programme de la Coalition Avenir Québec apparaît contradictoire sur plusieurs points :
Comme le Parti libéral, la CAQ promet elle aussi la maternelle 4 ans gratuite, pour tous les enfants du Québec, mais non obligatoire. Il propose ainsi de faire « d’une pierre, deux coups » en scolarisant jusqu’à 82 000 jeunes enfants de 4 ans, tout en libérant 50 000 nouvelles places dans les centres de la petite enfance (CPE).
Non seulement cette promesse semble-t-elle négliger la pénurie actuelle d’espace et de personnel qui accable déjà le réseau public québécois, les Caquistes suggèrent que la création des 5000 nouvelles classes nécessaires pour la réaliser ne coûterait que 311 millions $, alors qu’il en avait coûté près de cinq fois plus cher au gouvernement ontarien, en 2010, pour en construire 3500… Pire encore, dans leur cadre financier(durement critiqué, y compris par des économistes), il n’y a que 249 millions qui sont alloués pour la prématernelle 4 ans.
Considérant que plusieurs études ont souligné la qualité supérieure des services éducatifs offerts en CPE, on peut se demander pourquoi ajouter une charge supplémentaire aux écoles au lieu de simplement mieux articuler l’offre pour les 4 ans dans les établissements de la petite enfance.
La CAQ promet également de faire l’embauche de centaines de professionnels et d’adopter un plancher de services par tranche de 1000 élève.
Si cette promesse peut sembler en soi intéressante, les explications de monsieur Legault sur la façon d’établir ce seuil demeurent floues. Il y a aussi une contradiction évidente avec un autre engagement de la CAQ : comment un futur gouvernement caquiste pourra-t-il assurer l’embauche pour les écoles de centaines de nouveaux et nouvelles professionnelles alors qu’il espère du même coup réduire la fonction publique de 5000 postes ?
La CAQ promet aussi de limiter le nombre d’EHDAA dans les classes régulières et d’ouvrir de nouvelles classes spécialisées pour mieux répondre scolariser les élèves à besoins particuliers.
Dans ce cas également, le plan de la CAQ donne peu de détails sur la mise en oeuvre de telles mesures… Quels seraient les ratios visés ? Et quels critères faudrait-il utiliser pour identifier, parmi les élèves à besoins particuliers, lesquels pourront rester dans la classe ordinaire et lesquels seront envoyés dans les classes spécialisées afin de respecter ces ratios ?
Proposition du Parti Québécois (PQ)
En visant à embrasser un grand nombre d’enjeux en éducation, les promesses du PQ rejoignent forcément celles d’autres partis, avec des différences prévisibles de précision et, disons, de niveau de fermeté face à certains problèmes :
Le Parti Québécois s’engage lui aussi à augmenter le personnel professionnel et de soutien, et à réduire le ratio maître-élèves. Tout particulièrement au niveau secondaire, il veut «réinvestir de façon importante et ciblée dans toutes les écoles, entre autres dans les milieux plus à risque, en réduisant le ratio maître-élèves, notamment pour assurer le dépistage précoce».
Cela répond à une demande répétée, dans le milieu enseignant, pour améliorer les conditions d’enseignement, et donc les conditions d’apprentissage des élèves.
Le parti de Jean-François Lisée veut aussi rétablir les classes adaptées aux besoins des élèves en difficulté (comme le propose la CAQ).
La question du nouveau modèle de l’inclusion pour accueillir et scolariser les élèves à besoins particuliers demeure un sujet « chaud » dans le monde de l’éducation. Cet engagement péquiste répond en cela à certaines appréhensions des syndicats enseignants face à l’implantation de « l’école inclusive », alors que la classe spécialisée correspond plutôt à l’ancien modèle de l’intégration.
Par ailleurs, un gouvernement péquiste obligerait les établissements qui sélectionnent leurs élèves (les écoles privées et les écoles publiques avec projets ou volets particuliers) à accepter des élèves HDAA.
Il n’est donc pas question ici d’octroyer de financement supplémentaire… Au contraire, il a même été question que les écoles privées qui refuseraient d’accueillir plus d’élèves HDAA pourraient voir leur financement être coupé.
Le PQ propose aussi d’établir des corridors de services, en faisant «converger les programmes offerts en santé et services sociaux, en lutte contre la pauvreté, en culture, en sport et loisir, en immigration et francisation et en développement de la main-d’oeuvre».
Voilà une approche transversale intéressante, qui viserait à lutter contre la tendance actuelle du système et de ses différentes composantes à fonctionner en silos, ou en parallèle.
Et comme la CAQ, le PQ vise l’instauration d’un « seuil garanti de services professionnels directs », aux élèves qui suivent la formation générale des jeunes, mais aussi à celles et ceux des centres de formation professionnelle ou aux adultes.
Une idée bienvenue dans une optique d’éducation plus large que le cadre scolaire habituel des seules écoles primaires et secondaires.
* * * * * *
D’autres mesures-phares du programme en éducation du PQ, comme la loi-bouclier contre de futures compressions en éducation (pour protéger les coûts de système) et la décennie en alphabétisation (pour faire baisser le taux global d’analphabétisme fonctionnel de la population québécoise, à tous les âges) pourront certainement contribuer aussi à maintenir et promouvoir l’accès aux services professionnels pour nos élèves.
Proposition du Parti libéral du Québec (PLQ)
Tout comme pour ses annonces sur les infrastructures, le Parti libéral du Québec (PLQ) invite la population à le réélire sur la base des engagements qu’il a pris dans les derniers dix-huit mois de son mandat, notamment :
l’ajout d’une deuxième personne (ex.: deuxième enseignante, technicien en éducation spécialisée, orthopédagogue, orthophoniste, psychologue, etc.) en maternelle et en 1re année du primaire pour accompagner les enfants en classe ;
l’implantation de la maternelle 4 ans, à temps plein, en milieu défavorisé.
Deux engagements difficiles à appliquer, dans le contexte actuel de pénurie de personnel et de manque d’espace… Et deux engagements qui favorisent certes le dépistage précoce (tant mieux !…), mais qui ne font rien pour soutenir les élèves plus vieux qui ont subi les coupes des dernières années par le gouvernement libéral !
Au sujet des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA), le parti de Philippe Couillard a aussi promis de réviser le modèle de financement… sans vraiment préciser les détails de ce nouveau cadre…
Or, il nous apparaît réducteur de repenser l’attribution des ressources sur le seul principe de l’identification des élèves à besoins particuliers. Les demandes de soutien pédagogique et psychologique, qu’elles soient ponctuelles ou permanentes, de courte ou de longue durée, sont multiples et vont bien au-delà des EHDAA.
Ni le PLQ, ni les autres partis, d’ailleurs, ne semblent avancer de solution concrète permettant de sortir de cette course au diagnostic.
Enfin, les Libéraux veulent «continuer les efforts en collaboration avec les établissements privés pour la mise en œuvre de moyens visant à contribuer davantage aux efforts pour l’intégration des EHDAA».
Nous savons déjà que les écoles privées ont répondu à cette demande en réclamant du financement supplémentaire pour les soutenir. Est-ce qu’une telle dépense est le meilleur moyen de s’assurer que le réseau privé fait sa juste part pour scolariser les élèves à besoins particuliers, alors que les ressources disponibles pour le réseau public sont déjà si limitées ? La question vaut la peine d’être posée, dans le cadre d’une réflexion plus large, notamment sur le financement des écoles publiques et privées.
* * * * * *
Ces différents engagements sont présentés dans le cadre de la Politique de la réussite éducative que les Libéraux ont adoptée en 2017. Or, ce « nouveau plan stratégique du ministère de l’Éducation, le document qui guide le réseau, ne contient aucun objectif chiffré et mesurable à atteindre », et il a été très durement critiqué par des spécialistes du milieu de l’éducation et de la gouvernance.
À ce chapitre, l’Éducation offrirait peut-être même l’une des pires performances de tous les ministères du gouvernement libéral de monsieur Couillard…