ÉLECTIONS PROVINCIALES 2018 : Quatrième (et dernier) billet d’analyse des plateformes électorales des partis en matière d’éducation
Fin de campagne — enfin, déjà…! Si elle n’est pas devenue un enjeu majeur, l’éducation s’est quand même certainement hissée parmi les thèmes importants, et qui ne disparaîtront pas de l’écran radar, au lendemain de l’élection. Nous nous en assurerons, en tout cas — avec vous !
Nous vous invitons à (re)lire les trois précédents billets, qui se penchent sur les engagements électoraux en ce qui a trait à la surpopulation dans les écoles, aux services professionnels dans les écoles publiques, et aux conditions d’enseignement et de valorisation de la profession enseignante.
Pour ce dernier billet, nous examinons les programmes des quatre principaux partis en ce qui concerne le financement et la gouvernance en éducation, tant des écoles publiques que privées.
ENJEU #4: FINANCEMENT ET GOUVERNANCE DU SYSTÈME D’ÉDUCATION
Proposition de la Coalition Avenir Québec (CAQ)
La Coalition Avenir Québec promet tout un bouleversement des structures et du fonctionnement de la gouvernance scolaire.
La CAQ veut aller plus loin que la récente réforme de la taxe scolaire qu’a effectué le gouvernement libéral, en appliquant uniformément le plus bas taux de taxation scolaire à l’échelle du Québec, ce qui constituerait une (nouvelle) baisse de revenus de 700 millions $ pour les commissions scolaires. Celles-ci verraient leur pouvoir de facturation encadré et limité, les coûts reliés au transport scolaire et aux services de garde en milieu scolaire seraient plafonnés, et leur marge de manœuvre financière serait généralement réduite.
Avec cette proposition, qui ressemble à la ritournelle selon laquelle on paie cher pour peu en retour, et que les commissions scolaires abusent et sont inefficaces, la Coalition Avenir Québec met de l’avant l’idée de remettre de l’argent aux familles. Mais le manque à gagner de cette proposition, qui s’ajoute aux 670 millions $ qui ont déjà été retirés aux commissions scolaires par la récente réforme, compromet la prestation de services et pave la voie aux frais aux parents. Car quoi qu’on en pense, gérer et administrer le transport et les services de garde scolaire constitue tout un casse-tête, qui nécessite de l’argent.
Une autre idée maîtresse de la Coalition Avenir Québec est d’abolir les commissions scolaires, pour les remplacer par des centres de services, et d’éliminer les élections scolaires et le rôle de commissaire scolaire. Les comités de répartition des ressources, formés de cadres scolaires, recevraient des pouvoirs décisionnels, les conseils d’établissement se verraient aussi confier davantage de pouvoirs, et les pouvoirs des directions d’école seraient renforcés. Les écoles qui voudraient proposer des changements majeurs au calendrier scolaire, tout en respectant le nombre de jours obligatoires, se verraient aussi accorder plus de flexibilité.
C’est à tout un brassage de structures que nous sommes conviés avec cet engagement, qui risquerait d’être disputé juridiquement, notamment par les communautés anglophones. Par ailleurs, tout ce chambardement n’est pas détaillé et laisse croire que tout serait plus facile.
Et pas un mot non plus sur l’avenir des comités de parents, qui permettent actuellement aux parents d’une même région de mettre en commun leurs préoccupations et leurs attentes, et que chaque commission scolaire doit consulter avant de prendre certaines grandes décisions, comme le prévoit la Loi sur l’instruction publique (LIP) dans sa forme actuelle.
Or, le plan de la CAQ répond peu à nos questions : comment seraient nommés les gens qui participeront à ces nouvelles structures, s’il n’y a plus d’élections ? Quels seraient alors les lieux de débat et les contre-pouvoirs au sein de l’administration scolaire ? Comment serait maintenue l’équité entre les écoles, ou le partage des ressources ? Cela ressemble beaucoup plus à une mise en compétition tous azimuts, qui nuirait sans nul doute aux milieux les plus défavorisés, notamment, et qui ferait appel aux instances privées pour les aider — la charité, en somme…
Il y certainement des améliorations pertinentes à apporter aux structures de notre système scolaire, c’est indéniable (la proposition de la CAQ de créer un bureau national d’un protecteur de l’élève en fait peut-être partie), mais quand nos écoles tombent en ruines et que nos enfants s’y entassent toujours plus nombreux sans recevoir les ressources nécessaires, est-ce vraiment le temps de faire un débat de structures ?
Proposition du Parti Québécois (PQ)
Pour sa part, le Parti Québécois préconise des mesures pour protéger et améliorer le financement des écoles publiques, et pour améliorer aussi le rôle et le fonctionnement des commission scolaires.
(Nous avons déjà mentionné, dans notre deuxième billet, une des idées-phares du PQ en éducation soit l’adoption d’une loi-bouclier budgétaire pour les services à l’éducation, à l’enfance et à la protection de la jeunesse.)
Le Parti Québécois souhaite qu’il y ait plus d’équité dans le système d’éducation, autant dans les programmes particuliers et les écoles internationales que dans les écoles privées. Plus encore, il préconise une diminution significative du financement public des écoles privées si celles-ci n’admettent pas davantage d’élèves en difficulté. L’argent récupéré serait investi dans le système public d’éducation.
La position du Parti Québécois est mitoyenne entre le statu quo actuel et l’abolition de tout type d’école autre que l’école publique régulière. Il s’agit ici de lier le financement des écoles privées à des conditions favorisant l’équité entre les écoles des deux réseaux et de mettre fin à la concentration des élèves en difficulté dans la classe régulière. Quant aux programmes sélectifs, il y a une prise en compte du caractère souvent inéquitable actuel, mais sans avancer une solution définitive.
Loin de les abolir, le PQ entend réaffirmer la fonction démocratique des commissions scolaires en tant que lieux de gouvernance de proximité ; il propose d’ailleurs de tenir les élections scolaires en même temps que les élections municipales. La reddition de comptes des commissions scolaires serait à la fois allégée et rendue plus significative, en lui octroyant plus de moyens, tout en permettant aux directions d’écoles d’avoir aussi davantage de ressources et d’autonomie, notamment dans la formation des équipes-écoles.
Le PQ mise ici sur une revalorisation mais aussi sur une responsabilisation, une imputabilité accrue des commissions scolaires. À l’envers d’une centralisation des écoles toutefois, on voit une volonté d’augmenter l’autonomie, sans que cela soit très clair, toutefois.
Proposition de Québec solidaire (QS)
Québec solidaire propose d’investir massivement dans le financement du système scolaire public et de miser sur une perspective plus participative de la gouvernance scolaire.
QS veut réinvestir massivement dans le financement des écoles publiques, notamment en transférant graduellement les subventions données aux écoles privées. Cela correspond à un montant de deux milliards de dollars en quatre ans.
Avec cet engagement, en s’appuyant sur une analyse comparative avec la situation en Ontario, Québec solidaire prévoit que la moitié des élèves fréquentant les écoles privées intégreraient le système des écoles publiques. Or, il est très difficile de comparer point à point ces deux systèmes, très différents, et personne ne peut vraiment prédire, à l’heure actuelle, combien d’élèves quitteraient effectivement le privé pour le public. (À noter que l’accès à cet article est payant.)
De plus, alors que tant d’écoles publiques débordent, le plan de QS prévoit d’offrir aux écoles privées de s’intégrer au réseau public avec leurs bâtiments et leur personnel. En ne sachant pas comment réagiraient les écoles privées et surtout les parents dont les enfants les fréquentent, il s’agit d’un pari non négligeable.
Tous les frais scolaires seraient éliminés dans les établissements publics, du préscolaire jusqu’à l’université, pour atteindre la pleine gratuité en cinq ans. De plus, tous les enfants du Québec, y compris les enfants sans papier, auraient accès à l’éducation primaire et secondaire gratuite.
Cette promesse — à un coût de 2,45 milliards de dollars — a beaucoup fait parler et fait image, mais en y regardant de plus près, on se rend compte qu’elle comporte certains paradoxes ou du moins certains éléments méconnus. Ainsi, la gratuité scolaire promise par QS vise les frais afférents (les sorties scolaires, les frais administratifs et de transport)… mais pas les fournitures scolaires. Pourtant, celles-ci sont l’objet de discussions soutenues au sein des écoles et des commissions scolaires, et constituent des frais importants.
QS veut aussi abolir droits de scolarité au cégep et à l’université, et rendre les CPE gratuits… sans abolir les garderies privées. Qu’arriverait-il des crédits d’impôt dont bénéficient les familles qui optent pour des garderies privées? Voilà des aspects de cette promesse, faite surtout en début de campagne, dont on a peu entendu parler.
Pour ce qui est de la gouvernance, la gestion participative dans les écoles et les commissions scolaires serait préconisée, de manière à reconnaître l’expertise de tous les personnels.
Une meilleure reconnaissance de cette expertise est certainement souhaitable, et il serait intéressant de connaître davantage comment s’effectuerait concrètement des mécanismes de gestion participative au sein des écoles et des commissions scolaires.
Proposition du Parti libéral du Québec (PLQ)
Quant à lui, le Parti Libéral offre la continuité et un statu quo certain. Après les deux premières années de son dernier mandat à « remettre la maison en ordre », selon l’expression du premier ministre Couillard, force est de constater que l’éducation a été l’objet d’une attention plus soutenue, et d’engagements financiers certains.
Les engagements des Libéraux représentent des investissements de 2,8 milliards $ sur 5 ans pour la mise en oeuvre de la Politique de la réussite éducative. Des règles budgétaires pluriannuelles, instaurées il y a quelques mois, au printemps, contribuent aussi à améliorer «la prévisibilité pour les commissions scolaires et les équipes-écoles dans la gestion de leurs budgets.»
Après avoir comprimé les dépenses des commissions scolaires, et considéré revoir la gouvernance scolaire (avec le feu projet de loi 86), les Libéraux ont fait un gros travail de fédération des acteurs concernés par celle-ci. Ils semblent désormais travailler avec les commissions scolaires dans une optique qui ne remet plus leur existence en question. Le projet de loi 105 qui a été adopté en 2016, qui « vient renforcer le rôle des parents et des établissements d’enseignement dans la gouvernance du réseau scolaire » — et qui instaure notamment l’octroi direct aux écoles de certaines sommes — a reçu un accueil mitigé, mais au moins, il a contribué à établir un meilleur climat entre le gouvernement, les commissions scolaires et les autres acteurs du milieu scolaire.
Les Libéraux ne remettent pas du tout en question le mode de financement des écoles privées, invoquant le libre-choix des parents, et ont émis, en juin dernier, une directive visant à encadrer davantage les frais imposés par les écoles et les commissions scolaires.
Dans la foulée d’un recours collectif de parents contre les frais imposés par les commissions scolaires, le gouvernement sortant a émis une directive, qui reste floue dans ses détails et son application. Sur le terrain, dans les écoles, beaucoup de questions demeurent, des sorties culturelles n’ont pas été programmées, et les ministères de l’Éducation et de la Culture ont émis de nouvelles mesures, afin de contrer cet effet pervers.
De fait, il y a bien peu de nouveautés dans les engagements des libéraux en éducation, sauf peut-être la plus récente promesse, celle d’intégrer les services de garde éducatifs à l’enfance au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et de rendre gratuits les services éducatifs aux enfants de 4 ans (à la maternelle ou dans les services de garde). L’équipe libérale compte donc garder le cap sur le travail accompli par le ministre Proulx depuis un peu plus de deux ans… alors qu’aucun ministre de l’Éducation n’a encore pu conserver son poste plus longtemps, depuis presque dix ans ! (Vous pouvez faire le calcul vous-même : depuis 2007, il y a eu huit ministres différents…)